L’hygiène de l’assassin

« Hey Brem’s ! Par hasard, tu n’aurais pas une stat’ et un appareil photo avec toi ? »

Avec cette petite phrase d’Hugo Parmentier, mon week-end à pris une autre dimension.

En février, je pars trois jours en falaise, rejoindre des amis. C’est plus histoire de passer 3 jours dehors, loin du froid et de la grisaille parisienne. Je n’ai pas mis de baudrier, ni fais de voie, depuis plusieurs mois. Je sens le carnage, et son lot de frustration, grimpistiquement parlant, se profiler comme un 3,5 tonnes sur l’autoroute lancé à contre-sens.
Je pars donc plus dans l’optique, hautement probable, de me prélasser au soleil, assurer de temps à autre les copains, et passer des bonnes soirées entre amis.

Le premier jour à Saint Léger, se passe comme prévu : journée chill, au soleil, à rêvasser et assurer les copains. J’ai une petite idée en tête (Filmer via une caméra embarqué sur l’appareil photo) depuis des semaines, que je met à l’épreuve, en utilisant les copains comme cobaye. Ils se prêtent au jeux, car ils savent qu’il y a une récompense – un peu comme une quête secondaire au milieu de l’épopée vers la fameuse « croix » en falaise.

Le deuxième jour, direction Seynes. Il fait gris : un voile couvre le ciel, on ne distingue pas le soleil, il y a juste cette lumière uniforme. Il fait bon, mais il y a aussi ce vent froid, qui arrive par rafale et qui vous refroidi d’un coup, si vous le laissez passer sous vos couches de vêtements. Mais qu’importe, on est dehors, les conditions pour grimper sont top, et tout le monde regarde le topo en essayant de se décider parmi les très nombreuses pépites à essayer.

Soudain, je vois débarquer Hugo et Tess. Après les salutations d’usage, la revue rapide des dernières nouvelles dans la vie de chacun, un enthousiasme communicatif et bruyant de tous se croiser de manière tout à fait improbable à cet endroit précis, voilà que Hugo me pose cette question :

« Hey Brem’s ! Par hasard, tu n’aurais pas une stat’ et un appareil photo avec toi ? »
– Nan mais tu me prends pour qui ? Bien sûr que j’ai tout ça ! C’est quoi ton idée ?

En quelques minutes, Hugo me met au parfum de ses dernière perf’ et de son projet [1]retrouvez tout les détails dans les articles publiés sur le sujet : https://www.grimper.com/news-la-tornade-parmentier-passe-seynes … Continue reading. Il aurait besoin de photo, et sais que je suis l’homme de la situation (excusez-moi, mais qui n’aime pas se jeter des fleurs ?).
Il n’a pas encore fait l’enchainement de la voie qu’il nommera « L’hygiène de l’assassin », (9a ?), mais vient de faire « ça chauffe », 9a. Il souhaite profiter de la journée pour faire des runs pour réaliser l’ascension de « l’Hygiène de l’assassin ».
Il me propose donc de faire les photos en fin de journée, quand il mettra son dernier essai ou quand il ne sera plus en état d’essayer d’enchainer (s’il ne l’a pas déjà faite à ce moment là). J’accepte, cela me laisse le temps de le voir grimper dans la voie, comprendre ce qu’il y a de bon à photographier, réfléchir où me placer et comment atteindre l’endroit choisi.

La fin de journée arrive. La lumière baisse assez vite, le vent se lève de plus en plus, et le froid commence à se faire plus mordant. Hugo n’a pas réussi à enchainer, mais va mettre un dernier essai. Je n’ai qu’à remonter les 35 mètres de corde le plus vite possible, pour me mettre en place. La remonté est abominable : j’ai le cardio en feu, l’air froid me brûle les poumons, et je suis gelé par le vent glacial. C’est le genre de moment où je me répète à voix haute « j’adore ce que je fais, j’adore ce que je fais » pour essayer de te convaincre que subir tout cela en vaut la peine. Arrivé à bonne hauteur, je tracte mon sac aussi vite que possible. Le cardio reste dans le rouge … cramoisie… à limite de l’arrêt cardiaque. A peine le sac est à ma hauteur que j’en sors la doudoune, et en quelques instant, je m’échappe du pôle nord. Je sors l’appareil photo, vérifie les réglages, et déjà Hugo quitte le repos et entame rapidement la section dure. Le cardio est redescendu un peu. Je n’ai qu’une opportunité de faire les photos, Hugo n’y retournera pas aujourd’hui. Il faut s’appliquer à bien composer et viser précisément, en étant essoufflé. Je comprends mieux la difficulté qu’éprouve ceux qui combinent ski de fond et tir à la carabine en compétition : viser précisément en ayant le cardio en feu, c’est un enfer. Hugo tombe au début de la section. Remonte et repars. Tombe plus haut. Repars.

C’est aussi ça une séance photo en escalade : des chutes

Il arrive à ma hauteur, clipe la dégaine avec un improbable talon, puis se vache.
– « Tu as tout ce qu’il te faut ? »

Vérification rapide de ce que j’ai. Il manque une photo amusante, qui soit très représentative d’Hugo, de sa bonne humeur.

– « Tu me referais le clippage ? Celui que tu viens de faire. C’était improbable, et je suis sûr que l’on peut rendre ça drôle. »
Hugo s’exécute : il va pour refaire le clippage, met le talon, prends la corde et :
« … gné … grumpf …. gnééééééé … je galère à clipper … je suis en train d’exploser des bras …. vite, vite, vite !! » .

Hugo Parmentier à deux doigts de tomber en faisant le mariole pour la photo

Hugo s’en sort enfin, puis termine la voie.
On avise rapidement : On déplace juste la stat d’un mètre… Et on verra demain !

Une séance photo efficace !

Le lendemain, on refait la même opération dans « Ca chauffe » : On choisi ce que l’on va photographier en amont. On attend la fin de journée, Hugo part dedans en me laissant un peu d’avance. Je remonte à la corde en maudissant de ne pas courir plus souvent et d’avoir un si mauvais cardio. Je me place, Hugo arrive dans la section que nous voulons shooter.


Cette fois, je photographie et film: une petite caméra fixée à l’appareil film pendant que je photographie.

Hugo Parmentier dans « Ça chauffe », 9a, Seynes


Hugo arrive à mon niveau, on fait une vérification rapide. C’est bon, nous avons ce qu’il faut, on remballe !
Hugo descend et je remonte au relais, et là, la question de l’angoisse : est-ce que la corde est assez longue pour que je puisse me mouliner ? On vérifie. Ouf ! la voie doit faire 34 mètres, car la corde de 70m passe tout juste.
On range tout, on ramasse les déchets oubliés et on quitte la falaise, il fait nuit. On est roustés mais heureux.


Du hasard nait des opportunités qu’il faut saisir. Parfois ça implique de remonter 35 mètres de corde en 4 min, de faire des photos par 20 km/h de vent glacé dans la gueule, se geler comme pas permis. Et c’est la meilleure des choses à faire, parce que c’est génial, parce que c’est difficile, et parce que le résultat en vaut la peine, et que j’adore ce que je fais. Le résultat en vaut la peine.

Un immense merci à Hugo de m’avoir posé cette question qui nous aura encore fait vivre une belle aventure.


Aurèle Brémond

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